Le juroir à mi-mots… - par V
Je préfère ne pas jurer et vous dire à mi-mots, vous transmettre comme un secret la légende du double qui me fût ainsi léguée.
Je n’ai pas la mémoire des mots, je n’ai pas la maîtrise du bouche à oreille. Mais, je me souviens de ce vieil homme assis en tailleur, et de nous, assis autour de lui, qui l’écoutions. De sa voix posée et mystérieuse, il nous avait demandé, un peu à la façon dont on partage un secret : « Entre Mirer et Voir, n’entends-tu pas… Miroir ? »
Il savait parler à tous, tout en s’adressant à chacun en particulier, c’est pourquoi le tutoiement allait d’évidence. Son regard pétillant et pénétrant avait fait le tour de l’auditoire. Il observait en nous le cheminement de cette parole. Puis, il reprit son récit hors du temps, ses mains accompagnaient le mouvement de ses mots.
Après un récit à la fois long et pourtant trop court, l’histoire se terminait ainsi : « Souviens-toi comme Narcisse aimait à se mirer dans l’eau des sources pour se consoler de la perte prématurée de sa sœur jumelle Echo1. »
A cet instant, il avait observé un temps de silence, et nous avait regardé les uns après les autres. Il avait lu en chacun de nous l’effet de son récit. Son regard encore pétillant était désormais voilé, intérieur, l’homme semblait avoir rejoint son propre mythe.
Vint alors l’instant de la parabole, la phrase ultime qui nous révèlerait le sens profond du récit. Pour conclure, il murmura ces mots : « C’est ainsi que le juroir2 à mi-mots vous révèle le miroir à jumeau. »
Lorsque je revins à la réalité, notre vieux sage était parti.
1. Pausanias, Description de la Grèce, Livre IX – Boétie, chapitre XXXI
2. Récit pour lequel on a juré de la véracité, histoire vraie mais non vérifiée.
Texte écrit pour l'appel "Jumeaux et doubles" de Fanes de carottes. Vous pouvez aussi me lire ici.