Les murs de pêche - par V
L’îlate surgissait des eaux grises lors des très grandes marées descendantes. Au premier regard, il s’agissait d’une île, non plutôt d’un écueil massif, plongé à jamais ou presque dans les flots de l’Atlantique. Lorsque l’îlate apparaissait, elle brillait dans la lumière du soleil, ou sous les rayons de lune. Loin d’être nue, elle s’habillait de couleurs : le vert des algues, le brun du goémon et la blancheur des galets soigneusement entassés, dans lesquels de multiples poissons et crustacés se frayaient un chemin. L’îlate, il me semble, ne figure pas sur les cartes marines, de telle sorte qu’elle n’était fréquentée que par quelques pêcheurs et promeneurs : des amoureux de la mer.
Enfant, j’allais y regarder les paysans entretenir leurs murs de pêche, armés de pelles et de crochets, le pantalon bleu roulé au dessus des genoux.
Papa m’avait appris que lorsqu’on soulève un rocher, pour passer l’épuisette afin d’attraper les plus grosses crevettes, il fallait toujours le remettre en place et ainsi protéger la vie.
C’est dans cet esprit, dans le plus pur respect de la faune et de la flore, que mes pêcheurs travaillaient le sable et les cailloux, qu’ils jardinaient la mer : je me disais que chez eux, le soir, ils auraient peut-être de l’araignée à manger.
Aujourd’hui mes pensées vagabondent : l’îlate est engloutie, pour la revoir, il me faudrait attendre une prochaine marée d’équinoxe. Mais je sais déjà que je la verrais abandonnée ; les hommes ne jardinent plus la mer...