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Art'moureusement vôtre
9 octobre 2008

Ce jour là - par JF

Avril 1917

Il n’a pas pu.
Son corps secoué de soubresauts, de sanglots, gît sur le sol.
Il est recroquevillé en position fœtale.
Il gémit, appelle inlassablement sa maman comme le pauvre type touché au ventre qui a agonisé 3 jours dans les barbelés la semaine dernière.

Il n’a pas pu.
Lorsque pour le quatrième bond en avant de l’attaque de la journée, après 6 heures d’enfer, l’adjudant a hurlé "à l’assaut", il n’a pu jaillir du trou d’obus où il avait trouvé un refuge précaire.

Il n’en peut plus.
Il est fatigué, si fatigué…
Cela fait maintenant 3 ans qu’il combat.

Il a tout connu.
La retraite interminable d’août 14 sous un soleil de plomb.
Les marches de jour, de nuit, sans répit , repartir le lendemain comme un somnambule, titubant, les pieds en sang, le dos brisé et les épaules entaillées par le sac.
L’uniforme au pantalon rouge si voyant dans les blés, au képi de toile qui n’arrêtait pas les éclats d’obus qui vous scalpaient un homme ou lui ouvraient le crâne, mettant la cervelle à nue.
Les charges meurtrières, baïonnette au canon, dans la plaine nue, au son des clairons, commandées par des officiers en casoars et gants blancs, poitrines contre mitrailleuses allemandes intactes qui fauchaient les copains comme les pipes en terre des baraques foraines de sa jeunesse.

Tout, il a tout connu.
Le sursaut historique de ce qu’on appelle maintenant le miracle de la Marne, lorsqu’après tant et tant de jours de retraite harassante, le père Joffre a donné l’ordre de faire face aux boches et de s’élancer pour les arrêter. Il l’a fait ! Le ventre noué par la peur, l’estomac au bord des lèvres, se mordant la langue pour ne pas hurler, martyrisant son pauvre cerveau pour enfouir la peur viscérale qui montait en lui. Mais il l’a fait ! Il a même été décoré pour "acte héroïque", devant front des troupes. Qu’il était fier ce jour là ! Il bombait le torse, se tenait droit comme un I quand le colonel a accroché la médaille sur sa tunique.

Il a tout supporté.
Les tranchées boueuses nauséabondes où l’humidité suintait de partout. Les semaines sans pouvoir changer de vêtements, la vermine qui grouillaient, les rats qui attaquaient la nuit, la soupe froide et le pain moisi. Les nuits de veille, les marmitages pendant lesquels il restait tapis au fond de sa tranché écoutant le sifflement des obus pour en deviner le calibre et le point de chute. L’assaut ennemi qui suivait bref, violent, corps à corps brutal et sans merci où chacun défendait son bien le plus précieux, sa vie, à coup de pelle, de couteau de tranchée, en cognant à coup de poing, en mordant, griffant comme des bêtes fauves qu’ils étaient devenus.

Il a même résisté... résisté à l’enfer de Verdun.
La noria diabolique des divisions jetées à tour de rôle dans le chaudron infernal où le diable lui-même aurait frémi d’horreur. Cette boucherie sans nom, destinée à saigner l’arme française, où les poitrines des poilus ont suppléé au manque d’artillerie lourde. Il a résisté à des heures de pilonnage par les obusiers allemands. Les tympans crevés, hébété par le bruit, la poussière, la peur, il a encore puisé en lui pour combattre jusqu’à la limite de ses forces, pour arrêter les vagues d’assauts ennemi Il a tenu bon ! En brave poilu, il a fait son devoir. Et même plus car il a reçu la croix de guerre des mains de son général. Son père lui a écrit pour cette occasion une belle lettre où il exprimait toute sa fierté, tout l’amour qu’il avait pour son fils.

Et puis vint le chemin des dames, ses assauts sans cesse renouvelés, sans cesse repoussés, contre des positions allemandes imprenables…

Et puis vint ce jour là…


Juin1917

Douze balles, il n’est plus qu’un corps sanglant aux yeux bandés, aux mains liées à un poteau.
Douze balles tirées par un peloton d’exécution français.
Douze poilus comme lui, qui ont connus les tranchées, l’horreur des combats.
Douze poilus commandés par un officier français qui s’apprête à l’achever d’une treizième balle en pleine tête.

"Fusillé pour refus d’obéissance devant l’ennemi."

Parce que ce jour là , il n’a pas pu…

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Commentaires
J
D'accord avec toi et avec tes armes "laïques". Mais pour ne pas employer les armes "destructrices" il faut être deux. Actuellement, le monde ne me paraît pas aller dans le bon sens. Amitiés
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D
Un très beau texte... le mot "antimilitarisme" est décidément une belle invention du vocabulaire et la guerre une belle saloperie universelle (décrétée par de "puissants" crétins, toujours planqués) ...<br /> <br /> J'ai vu le superbe film de Stanley Kubrick "Paths of Glory" ainsi que "La chambre des officiers" et ce chef d'oeuvre de Dalton Trumbo, "Johnny got his gun" : j'en sais assez...<br /> <br /> Et les psychopathes d'"Al Qaïda" se rient aujourd'hui des armées...<br /> <br /> Nos "armes, aujourd'hui ? L'éducation, la laïcité, la restauration de la justice sociale et des valeurs républicaines...<br /> <br /> Amitié et MERCI, cher J.-F. !!!<br /> <br /> (gaffe : deux fautes d'otho à "bon(d) en avant" et "ont suppléé")
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I
voilà. c'est ça. :)
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J
Effectivement il y a des soirs où on est plus comédie que tragédie!
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J
Heureux de te revoir chez "nous". Ce texte est né de mes lectures sur la Grande Guerre, des récits des anciens des régiments vendéens que j'ai rencontré lorsque j'étais jeune, des récits de mon arrière grand père, officier d'artillerie en 14-18 et de mon désir que ce souvenir se perpétue afin que comme tu le dis si bien:<br /> "Plus jamais çà!"<br /> Si la vieille Europe est à peu près apaisée, encore que l'ex_Yougoslavie ne soit pas un havre de paix, il y a encore beaucoup trop d'endroit où le sang des innocents coule toujours.<br /> Amicalement
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